Propos du réalisateur Jérôme Polidor sur Résidence en résistance
![None](/media/filer_public_thumbnails/filer_public/a0/bc/a0bcc82e-334b-4afd-a216-fe87bedfe1c1/jerome_polidor_premiere.jpg__1200x520_q85_crop_subsampling-2.jpg)
Un geste de défense
Certains films résultent d’un long processus d’écriture, d’autres naissent dans le mouvement, dans l’action, et se présentent comme une évidence. C’est le cas de Résidence en résistance.
En février 2023, mon fils de deux ans est gardé par Julienne, assistante maternelle de la crèche familiale de Poitiers, tandis que ma mère malade habite en résidence autonomie. Ces deux services publics de proximité situés dans notre quartier sont indispensables à notre confort de vie au quotidien.
Lorsque les élus de Poitiers annoncent la fermeture de la crèche familiale et de l’une des quatre résidences autonomie de la ville, nous avons d’abord du mal à y croire : pourquoi une mairie de gauche s’attaquerait aux services publics aussi brutalement ? Qui plus est en plein mouvement social contre la réforme des retraites ? La désillusion est grande.
Au commencement de la lutte, c’est d’abord ma compagne Mélanie Segons qui s’engage dans la création et l’animation du collectif de parents de la crèche familiale. De mon côté, j’échange quotidiennement avec Julienne lorsque j’accompagne mon fils chez elle. Nous recoupons les informations, parfois contradictoires, distillées aux parents et aux assistantes maternelles par l’institution. Face aux mensonges répétés et à la mauvaise foi des élus, je ressens le besoin de sortir ma caméra et de la proposer comme un outil au service de la lutte. J’ai en tête de montrer la réalité des services menacés, les visages des assistantes maternelles, des habitant.e.s de la résidence autonomie. Ma proposition est acceptée par l’assemblée générale du mouvement et je commence à tourner dès le premier jour de l’occupation de la résidence Édith-Augustin.
La caméra comme outil de lutte
J’ai choisi d’investir le terrain de jeu privilégié par les élus, celui des médias. Au départ, je voulais simplement partager quelques portraits sur les réseaux sociaux pour incarner à l’écran celles et ceux que les élus réduisaient à de simples chiffres.
Après la publication de la première vidéo, j’ai ressenti la nécessité et l’urgence de continuer à filmer l’occupation, de m’y rendre plusieurs fois par semaine, de donner la parole aux résident.e.s, au personnel, aux syndicalistes, à celles et ceux qui s’investissaient dans cette lutte joyeuse et poignante. Je me suis pris au jeu et j’ai finalement réalisé une série documentaire en temps réel au cœur de la lutte. La forme documentaire permet à la fois l’analyse d’une situation et l’empathie, l’attachement à des personnages. c’était une forme efficace pour combattre la froideur comptable des politiques.
A l’instar des nombreux articles de la presse locale, mes vidéos nourrissent la lutte. Elles sont regardées et partagées par les personnes engagées, impliquées, mais aussi les habitants de la ville sensibles à la situation. Les élus et cadres de la collectivité les regardent également. Un mouvement de lutte est par essence imprévisible. Je n’imaginais pas que le mouvement durerait trois mois et que je réaliserais 16 épisodes de la série documentaire.
De la série documentaire au long métrage
Au bout de quelques tournages, j’ai commencé à envisager la réalisation d’un long métrage qui retracerait la lutte à postériori. Je me suis mis à filmer des séquences d’organisation, des « coulisses » du mouvement que je destinais au film long. Lorsque je filmais des militants qui préparaient des actions où échangeaient des propos sensibles, je les rassurais : « c’est pas pour la série, c’est pour le long métrage sur la victoire ! ».
La mémoire des luttes
La mémoire des luttes alimente les suivantes. Comprendre les raisons du succès, mais aussi des défaites, doit permettre de préparer les prochains mouvements.
J’ai voulu que le film témoigne de l’énergie collective, de l’ambiance à la fois combative et festive, du cheminement des individus et du collectif.
Les services publics sont plus que jamais menacés. Montrer qu’une mobilisation peut être victorieuse, même partiellement, est un moyen de lutter contre la résignation, de rappeler que la solidarité n’est pas vaine.
La victoire est pourtant en demi-teinte. La résidence autonomie est sauvée, mais la crèche familiale est démantelée. Il est aussi essentiel de transmettre la parole de celles qui se sont battues, de conserver une trace ce qui va disparaître.
Un film familial et collectif
Résidence en résistance est aussi un film familial. Ma compagne Mélanie est une actrice de la lutte, notre fils Zéphyrin et dans une moindre mesure ma mère Marie-Claire, apparaissent dans plusieurs séquences. Le mouvement a été au centre de nos préoccupations et de notre vie familiale pendant plusieurs mois. J’ai choisi d’inclure cette dimension dans le film. Cet ancrage familial est aussi un moyen d’assumer la subjectivité constitutive du genre documentaire.
Le film est aussi le résultat d’un travail collectif. Le réalisateur Vincent Lapize a filmé la grande réunion de consultation organisée par le CCAS. Axel Maignan et Sylvain David, tous deux militants CGT, m’ont donné les images qu’ils ont tournées pendant leurs journées et nuits d’occupation de la résidence. D’autres vidéos ont été glanées sur les réseaux sociaux. La multiplicité des sources d’images et de sons contribue à restituer la forme composite de la lutte, son urgence et son improvisation au fil des évènements.
La gauche à l’épreuve pouvoir local
Que signifie être de gauche ? Voilà une réflexion à laquelle ce film peut contribuer. La coalition « Poitiers collectif » qui administre la ville depuis 2020 sous la houlette de la maire écologiste Léonor Moncond’huy, est composée des verts, des communistes, et d’individus issus d’autres formations qui se revendiquent de gauche. Mais les mots suffisent-ils ? Est-il encore possible pour des élus de mener des politiques solidaires, écologiques et sociales lorsque leurs collectivités sont prises dans l’étau libéral de la rigueur budgétaire imposée par le gouvernement ? Quelle différence avec le centre ou la droite, si la politique se réduit à de la bonne gestion comptable ?
L’importance du syndicalisme et du mouvement social
Cette lutte démontre l’importance du mouvement syndical et social pour contraindre des élus de gauche à ne pas renoncer à leurs engagements sociaux. Au début du mouvement, lorsque l’on expliquait autour de nous que la mairie voulait fermer la crèche familiale et une résidence autonomie, les gens étaient sceptiques. On avait du mal comprendre, ou alors il devait bien y avoir une raison…
L’engagement de la CGT a permis de structurer la lutte et de l’ancrer à gauche, d’empêcher qu’elle soit instrumentalisée localement par l’opposition de droite constituée à Poitiers des macronistes et du Parti Socialiste, alliés pour tenter de reprendre la mairie aux écologistes en 2026.
Une lutte joyeuse
Des animations, des soirées et des spectacles étaient proposés tous les jours pendant l’occupation. La résidence est devenue un lieu ouvert, un espace de rencontre, un foyer chaleureux et joyeux. Cette énergie a été essentielle pour aider les résident.es à surmonter l’épreuve et à entretenir la combativité et l’espoir de celles et ceux qui luttaient à leurs côtés.
Une production associative
Quand j’ai commencé à filmer la lutte et à publier les épisodes, je n’ai pas tergiversé ; j’ai tourné avec mon matériel, sollicité des coups de main au fur et à mesure. La question de la production s’est posée ensuite, pour organiser et financer les mois de travail que nécessitent le montage, la postproduction puis l’accompagnement et la distribution du documentaire.
Je suis revenu au modèle de production associative qui a déjà fait ses preuves avec plusieurs précédents films de La Mare. Nous avons lancé un financement participatif qui a permis de récolté près de 16 000 euros grâce à une trentaine de particuliers, mais surtout grâce à la participation de syndicats CGT, coordonnés par la CGT des territoriaux de Poitiers.
Mais cette contribution des syndicats n’a pas été conditionnée à un droit de regard sur le contenu du film, les syndicalistes ont découvert le film une fois terminé. Cette marque de confiance m’a permis de réaliser le film en toute liberté, sans contrainte de forme ou de format.